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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 22 mai 2013

Séance de 12 heures 15

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol (BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet, MM. Didier Bonijoly, directeur-adjoint à la direction des géoressources du BRGM, et Hubert Fabriol, directeur-adjoint à la direction des risques et de la prévention du BRGM

La séance est ouverte à douze heures quinze.

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol, spécialiste de la géoénergie à la direction de la recherche du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et présidente du réseau européen d’excellence CO2GeoNet, qui rassemble plusieurs grandes institutions publiques de recherche issues de sept pays. Mme Czernichowski-Lauriol est accompagnée de deux collègues du BRGM, MM. Didier Bonijoly, directeur adjoint à la direction des géoressources, et Hubert Fabriol, directeur adjoint à la direction des risques et de la prévention.

Le BRGM est un acteur clé en matière de technologies de captage et de stockage du CO2, que l’on désigne par l’acronyme CSC en français ou CCS en anglais. Il apporte un soutien scientifique et technique à différents partenaires afin de mettre au point des pilotes ou des démonstrateurs. Depuis une dizaine d’années, les recherches sur ce thème bénéficient d’ailleurs d’un soutien financier de l’Union européenne, au titre de son 6e puis de son 7e PCRD (Programme cadre de recherche et développement).

La Commission d’enquête s’intéresse évidemment au projet Ulcos, abandonné par ArcelorMittal, qui semble toutefois désormais impliqué dans un projet de même nature, mais moins ambitieux et programmé plus tard ; il est dénommé LIS, pour Low Impact Steel. Sur ce sujet, certains membres de la Commission d’enquête ont déjà rencontré des experts issus d’ IFP Énergies nouvelles et de Total, mais dans le cadre plus informel d’un groupe de suivi de l’accord dit de Florange créé au sein de la commission des affaires économiques. En tout état de cause, ce dossier complexe a sensiblement évolué depuis.

Nous attendons de votre audition, madame, une mise au point technique et pédagogique : qu’est-ce qui est réalistement faisable, et dans quel délai ? La sidérurgie, voire les activités métallurgiques, sont-elles celles dont les émissions de CO2 sont les plus propices à un captage, voire à d’éventuelles réutilisations énergétiques ?

Conformément à notre habitude, nous allons d’abord vous entendre pour un bref exposé liminaire, puis les membres de la Commission d’enquête vous poseront tour à tour leurs questions.

Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol et MM. Didier Bonijoly et Hubert Fabriol prêtent successivement serment.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet. En matière de captage et de stockage du CO2, les premières recherches ont débuté voici vingt ans, en 1993, par un premier projet européen auquel participait le BRGM. Cette technologie peut s’appliquer à toutes sortes d’installations industrielles, dont les installations sidérurgiques, mais aussi les raffineries, les cimenteries, les centrales thermiques, etc. Selon les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie, elle peut contribuer pour près de 20 % à la réduction des émissions de CO2 nécessaire d’ici à 2050 pour espérer limiter le réchauffement climatique global à 2 ºC, conformément aux engagements souscrits au niveau international. Cela résulte pour moitié de son application aux centrales thermiques de production d’électricité et pour moitié de ses applications industrielles. Toutes les feuilles de route portant sur l’énergie à l’horizon 2050, à l’échelon international, européen et même national, incluent cette technologie parmi les moyens d’atteindre l’objectif extrêmement ambitieux de division des émissions de CO2, d’ici à 2050, par deux à l’échelle mondiale et par quatre dans nos pays industrialisés.

La technologie dite de captage et de stockage du CO2 se décompose en trois étapes. Il faut d’abord capter le CO2 là où il est émis en grande quantité, au niveau des installations industrielles, puis le transporter, principalement par gazoduc, jusqu’à son lieu de stockage, enfin le stocker dans des formations géologiques profondes, à un kilomètre de profondeur au moins. De ces trois étapes, le captage est la plus onéreuse puisqu’il concentre 80 % des coûts, tandis qu’en matière de stockage, les problèmes concernent l’identification et la disponibilité des sites géologiques adéquats. Le stockage est la clé de voûte du dispositif puisque c’est en piégeant dans le sous-sol le carbone extrait sous forme d’énergies fossiles – pétrole, charbon et gaz – que l’on évite de l’envoyer dans l’atmosphère. De nombreux gisements naturels de CO2 dans le monde, dont, en France, celui de Montmiral, attestent que les formations géologiques peuvent piéger de manière permanente de grandes quantités de CO2 pur.

Outre que l’on peut capter et stocker toutes les émissions de CO2 issues de l’industrie et des centrales thermiques, cette technologie, couplée à l’utilisation de la biomasse comme source énergétique – à titre complémentaire dans les centrales thermiques, ou afin de produire des biocarburants –, permet d’envisager des émissions négatives : l’on parvient à capter dans l’atmosphère, par photosynthèse, le CO2 issu de la biomasse. Le CSC ouvre également la voie à la valorisation du CO2. Aujourd’hui utilisé à des fins industrielles, par exemple comme solvant, mais en très faible quantité, il pourrait servir à l’avenir à stocker les énergies renouvelables en excès : combiné avec de l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau, il permettrait de produire des hydrocarbures de synthèse. Cette idée qui émerge aujourd’hui n’a de sens que si l’on se place à l’échelle de l’ensemble du système énergétique.

Alors que les procédés de captage, une fois testés, peuvent être reproduits n’importe où, chaque site de stockage est unique puisqu’il dépend de la géologie locale – de la nature des roches, de leur profondeur, de leur température, de la pression, etc. Le stockage suppose donc un processus long, à la fois technique, réglementaire et sociétal, d’identification des sites adéquats, de caractérisation géologique, d’évaluation des risques et des impacts locaux, auquel s’ajoute la demande administrative de permis de stockage, qui doit être acceptée par la population.

Où cette technologie en est-elle dans le monde et en Europe ? Je l’ai dit, les premiers projets de recherche au niveau européen datent de 1993. D’autres ont ensuite été développés en France grâce à des financements de l’Agence nationale de la recherche et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Ils se sont fondés sur un savoir-faire lié à des pratiques industrielles existantes, en particulier la récupération assistée de pétrole par injection de CO2 dans les champs de pétrole, courante notamment aux États-Unis, ou le stockage saisonnier de gaz naturel dans le sous-sol, également courant. Ce qui a permis de confirmer la préfaisabilité de cette technique.

Depuis lors, des opérations industrielles pionnières ont eu lieu, en particulier en Norvège en 1996 : depuis, un million de tonnes de CO2, issu d’un champ de gaz naturel nouvellement exploité, est injecté chaque année dans le sous-sol de la mer du Nord. Le gaz doit être purifié avant de pouvoir être vendu ; il contient du méthane, donc des impuretés, notamment du CO2 à 9 % que l’industrie gazière doit donc capter, ce que l’on sait faire en utilisant des amines. En outre, en Norvège, le CO2 émis off-shore est soumis à une taxe, ce qui a incité la compagnie Statoil à le réinjecter plutôt dans le sous-sol, dans une autre formation. D’autres opérations pionnières ont été menées au Canada et en Algérie, toutes liées à l’industrie du gaz et du pétrole puisqu’elles découlent de la nécessité de purifier le gaz naturel ou de récupérer davantage de pétrole. Il n’en existe pas encore qui soient adossées à une centrale thermique ou sidérurgique.

En ce qui concerne le stockage, des pilotes destinés à la recherche et concernant des quantités limitées de CO2 existent au Japon, aux États-Unis, en Allemagne. En France, le pilote intégré de captage, transport et stockage exploité par Total à Lacq et Rousse a permis d’associer les trois étapes dans un champ de gaz, à plus de 4 kilomètres de profondeur.

En somme, nous pouvons tirer profit de l’expérience industrielle, de celle des nombreuses recherches qui ont été menées, ainsi que des échanges qui se nouent au sein de la communauté internationale à ce sujet. Un coup d’accélérateur est désormais indispensable pour permettre le déploiement industriel de cette technologie, condition du respect des engagements, notamment européens, de réduction des émissions de CO2. Il suppose une expérience de terrain, grâce à des démonstrateurs à grande échelle de toute la chaîne intégrée – captage, transport, stockage –, adossés à une opération industrielle, qui servent de tremplin à un déploiement commercial ultérieur. Au niveau européen, des instruments financiers ont été instaurés, dans le cadre du plan de relance économique européen, en 2008 et 2009. Six projets à grande échelle de captage, transport et stockage de CO2 ont ainsi été sélectionnés, dont trois ont été abandonnés, pour certains tout récemment.

En effet, les incertitudes sont grandes du point de vue financier, en raison de la très faible valeur du CO2 sur le marché européen, qui ne dépasse pas 5 euros la tonne, alors qu’elle atteignait 30 euros au moment où ces instruments ont été lancés, et que l’on s’attendait alors à ce qu’elle augmente. Les industriels et les gouvernements ne se décident donc pas à investir dans des réalisations concrètes. En outre, l’acceptation par la société est problématique dans certains pays, comme l’Allemagne. Ainsi un projet de démonstration sur le territoire national a-t-il suscité des oppositions. Enfin, des questions d’ordre réglementaire peuvent se poser dans la mesure où la directive européenne sur le stockage du CO2, adoptée en 2009, a été transposée par la France mais pas par tous les États membres.

Au plan de relance économique européen s’ajoute l’appel à projets dit NER300, qui permet de financer, grâce à une réserve de 300 millions de quotas, des projets innovants de démonstration soit de captage et de stockage de CO2, soit d’énergies renouvelables. Au terme du premier appel à projets, qui date de 2010 et dont les résultats ont été communiqués en décembre 2012, aucun projet de CSC, dont Ulcos, n’a été retenu, pour différentes raisons. Rappelons simplement qu’ArcelorMittal a renoncé au dernier moment à son projet. Un deuxième appel à projets a été lancé en avril, auquel les États membres ont trois mois pour candidater ; nous espérons que, cette fois, des projets CSC pourront être financés. Mais les sommes allouées grâce à cette vente de quotas étant bien inférieures à celles initialement prévues, d’autres instruments financiers seront sans doute nécessaires pour développer des démonstrateurs en Europe.

En matière de CSC, deux initiatives viennent par ailleurs d’être prises au niveau européen. D’une part, la Commission européenne a lancé fin mars une communication consultative sur l’avenir du captage et du stockage du carbone en Europe qui prendra fin début juillet : cette consultation publique a trait à l’opportunité et aux moyens d’assurer le développement de cette technologie en temps utile ainsi qu’à la manière d’en garantir la viabilité commerciale. D’autre part, le Parlement européen prépare un rapport sur le développement et l’application des technologies de captage et de stockage de CO2 en Europe ; le rapporteur est le parlementaire britannique Chris Davies, qui était déjà rapporteur de la directive européenne sur le stockage de CO2.

Si les démonstrateurs sont nécessaires pour valider sur le terrain les technologies déjà développées, il importe également de poursuivre la recherche sur les nouvelles générations de technologies, en particulier afin d’identifier les capacités réelles de stockage et les zones où les formations géologiques pourraient accueillir de grandes quantités de CO2. Il convient aussi par exemple d’améliorer la résolution et le coût des techniques de surveillance pour pouvoir détecter tout changement à n’importe quelle profondeur et à tout moment. À cette fin, la communauté de recherche européenne, structurée autour de l’association CO2GeoNet, insiste sur la nécessité de disposer de pilotes de recherche axés sur le stockage, afin d’expérimenter dans des contextes géologiques donnés l’injection de quantités limitées de CO2. Cela permet de tester à la fois les formations géologiques visées et l’ensemble de nos outils, afin de développer et d’améliorer encore la surveillance, la modélisation, la caractérisation, l’évaluation des risques, etc. L’installation de pilotes de recherche tournés vers le stockage fournira en outre d’excellentes occasions de dialoguer avec les populations et la société.

L’association CO2GeoNet est un réseau scientifique européen sur le stockage géologique du CO2, créé en 2004 par la Commission au titre de son 6e Programme cadre et transformé en 2008 en association de la loi de 1901. Elle compte 13 membres fondateurs répartis dans 7 pays, dont le BRGM et IFPEN pour la France, et s’ouvre depuis cette année à de nouveaux membres afin de se doter d’une envergure paneuropéenne, notamment grâce à un projet européen en cours, appelé CGS Europe, également coordonné par le BRGM et qui regroupe 34 instituts de recherche répartis dans 28 pays. Ainsi la voix scientifique de l’Europe en matière de stockage du CO2 pourra-t-elle être véritablement représentative de l’ensemble des pays européens, et tous les instituts de recherche travaillant sur le sujet pourront-ils partager leurs connaissances. CO2GeoNet mène quatre types d’activités : outre la recherche, la production d’avis scientifiques partagés par toute la communauté européenne des chercheurs, l’organisation de stages de formation et des actions d’information et de communication sur la technologie du CSC. Pour l’association, l’événement clé est l’Open Forum CO2GeoNet annuel qui se déroule à Venise au printemps et réunit autour de la communauté européenne de recherche les autorités publiques européennes et nationales, des industriels, des organisations non gouvernementales, des journalistes scientifiques.

Quels sont les principaux messages diffusés par le forum en avril dernier ? L’on constate qu’hors d’Europe, des progrès significatifs ont été accomplis s’agissant des pilotes et des démonstrateurs, y compris lorsqu’ils sont adossés à des centrales à charbon et à gaz ou à des industries, alors qu’en Europe, d’importants projets qui avaient été planifiés peinent à voir le jour, essentiellement en raison du faible prix du CO2 sur le marché européen. Par ailleurs, nous avons besoin de pilotes de stockage de CO2 pour que la recherche continue de progresser, d’autant que la singularité de chaque site de stockage incite à mutualiser les résultats d’expériences menées dans divers sites avant d’en essayer de nouveaux.

La technologie s’est considérablement développée en vingt ans. À la suite du premier projet de recherche européen, en 1993, puis de la première opération industrielle, menée en Norvège en 1996, le protocole de Kyoto a représenté en 1997 le premier engagement chiffré de réduction de gaz à effet de serre. En 2005, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat a consacré au captage et au stockage du CO2 un rapport qui lui a donné toute sa place dans la panoplie de méthodes dont nous disposons pour réduire les émissions. La même année a été ouvert le marché européen du carbone. Le paquet énergie-climat européen, qui fixe des objectifs de réduction encore plus ambitieux, a été adopté en 2008, suivi de la directive européenne sur le stockage géologique du CO2, en 2009. Il a été décidé, toujours en 2009, de financer six démonstrateurs CSC dans le cadre du Plan de relance économique européen. L’appel à projets NER300 a été lancé en 2010. En 2011, le captage et le stockage du CO2 est devenu éligible au mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto. La même année, la « Feuille de route pour l’énergie à 2050 » de la Commission européenne intègre le CSC à tous ses scénarios, à des degrés divers. En 2012 un comité ISO a été constitué pour élaborer les normes internationales applicables à cette technologie. Enfin, il était prévu qu’entre 2015 et 2020 nous disposerions de démonstrateurs intégrés à grande échelle en activité, afin de pouvoir débuter le déploiement industriel et commercial en 2020, mais ce projet a pris du retard. Il importe donc de réfléchir à de nouvelles mesures : tel est le sens des récentes initiatives européennes que constituent la communication consultative de la Commission et le projet de rapport du Parlement.

M. Alain Bocquet, rapporteur. L’enjeu historique que représentent le captage et le stockage du CO2 est décisif dans l’industrie sidérurgique et métallurgique.

L’Europe, et la France en particulier, est-elle à la pointe de la recherche et des connaissances en matière de captage et de stockage du CO? Sommes-nous plus avancés que les pays d’Amérique du Nord, voire d’Asie ?

Au sein de l’Union européenne, certains pays sont-ils réticents à s’engager sur cette voie ? La transition énergétique décidée par l’Allemagne stimule-t-elle ses ambitions dans ce domaine ou les réfrène-t-elle, du moins dans la période actuelle où le pays consomme force charbon et lignite ?

Parmi les grands industriels, lesquels sont les plus actifs en matière de captage et de stockage du CO2 en dehors de Total, EDF et GDF Suez ? Participent-ils aux recherches ou leur consacrent-ils des financements significatifs ?

Selon vous, comment faudrait-il réformer le système européen des quotas d’émission de CO2, manifestement inadapté à la situation de certaines industries, dont la sidérurgie européenne ? Indépendamment même du niveau des cours auquel peut être vendu le surplus de certificats d’émission que détient un industriel, le dispositif tel qu’il est conçu n’octroie-t-il pas une prime à celui qui ne produit pas ou qui produit peu à partir de ses installations ?

N’est-ce pas le cours désormais très bas des quotas de CO2 susceptibles d’être négociés, plutôt que les difficultés techniques invoquées, qui explique pour l’essentiel l’abandon par ArcelorMittal du premier projet Ulcos ? Dans le montage du projet LIS, ArcelorMittal semble assez seul. Les montants des crédits annoncés paraissent même faibles : 32 millions d’euros au total à l’horizon 2018, dont 13 à la charge du groupe, soit moins de la moitié de ce qu’il perçoit en France pour une année au titre du crédit d’impôt recherche, auxquels s’en ajouteraient 15 de l’État – probablement l’ADEME – et 4 millions seulement au titre de divers partenariats. Compte tenu de ces montants, une étude complète de faisabilité est-elle crédible ? À quelle date pourrait-on selon vous espérer qu’un site pilote voie le jour ? Si d’autres partenaires ne se joignent pas à cet effort, l’idée, défendue par ArcelorMittal, que la recherche sera ancrée en Lorraine reste-t-elle plausible ? En d’autres termes, le centre de recherche du groupe, situé à Maizières-lès-Metz, et l’université de Lorraine, à Nancy et à Metz, pourront-ils, conformément à ce qui a été annoncé, y jouer un rôle moteur ? Dès lors que les hauts-fourneaux de Florange sont hélas définitivement arrêtés, voire en passe d’être démantelés, l’installation sur le site sinon d’un démonstrateur, du moins d’un simple pilote reste-t-elle envisageable ?

Enfin, élu d’un pays minier, j’aimerais savoir si les centaines de kilomètres de galeries de mines existantes peuvent servir de lieu de stockage et d’expérimentation.

M. Michel Liebgott. Élu lorrain, j’espérais pour ma part que le projet ULCOS garantirait la pérennité des hauts-fourneaux. L’occasion était extraordinaire : comment un groupe aurait-il pu investir dans la rénovation de ces derniers sans cette technologie ? Certes, les 250 millions d’euros apportés par l’Europe dans le cadre du programme NER300 devaient être avancés par l’industriel ou par d’autres, ce qui pourrait expliquer le retrait d’ ArcelorMittal. En outre, comme l’a dit Alain Bocquet, le cours du CO2 exerce un effet dissuasif, d’autant que le Parlement européen a pris il y a peu à ce sujet une décision qui ne semble pas aller dans le bon sens. Pourtant, il y a encore deux ou trois ans, les directeurs techniques d’ArcelorMittal semblaient très sûrs de leur fait. Je suis convaincu que ce projet était faisable et que l’industriel était prêt, contrairement à ce qu’il affirme aujourd’hui : la technique était à peu près maîtrisée, le site de stockage était clairement identifié, sous des couches argileuses d’au moins un kilomètre, conformément à ce qui est requis. À ce propos, certains s’interrogent sur le devenir du CO2 stocké : en vient-il à disparaître au bout d’un moment, à se mêler à d’autres roches ? N’est-ce pas dangereux à long terme ? C’est une question que posent souvent les habitants de ces régions.

J’ai été surpris de vous entendre dire que le captage était plus coûteux que le stockage. De laquelle de ces deux étapes le transport, qui est assez onéreux, relève-t-il ? Lors de sa récente audition par notre commission, M. Darmayan, président de la Fédération française de l’acier, a estimé que l’installation industrielle n’était pas envisageable avant 2030 et jugé que l’on n’aurait jamais dû mêler Florange et Ulcos. Je suis de l’avis opposé : c’était l’occasion rêvée. L’on pouvait envisager une exploitation industrielle à l’horizon 2020 ; tout était prêt. C’est donc à mon sens l’effondrement du cours du CO2 ainsi que l’absence de croissance, les deux phénomènes étant liés, qui a conduit à abandonner le projet.

Le projet LIS n’en est que la prolongation, réduite à ArcelorMittal et à l’État. Les hauts-fourneaux de Florange ne sont pas encore démantelés, mais mis sous cocon : même s’il faudrait quasiment les reconstruire, les fondations demeurent. Les progrès réalisés au fil du temps en matière de captage et de stockage rendent le projet réaliste. Il s’apparente pour nous, élus, à une exigence, comme pour les syndicats et les collectivités territoriales. Nous persistons à penser qu’une phase pilote, au moins, peut avoir lieu sur le site et que l’on peut y produire de la fonte : derrière cette structure à chaud, il y a toute l’usine à froid qui pourrait utiliser la fonte fabriquée à Florange.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. L’Europe, la France sont-elles à la pointe de la recherche et des connaissances ? Oui : elles font partie des pionniers de la recherche menée depuis vingt ans et mobilisent à cette fin non seulement les instituts de recherche et les universités, notamment en France, mais aussi les industriels, à propos de chacun des maillons de la chaîne – captage, transport, stockage. Le captage et le stockage du CO2 ont été identifiés parmi les filières industrielles stratégiques de l’économie verte en France, notamment en vue d’ouvrir des marchés à l’export. Toutes nos entreprises sont d’ailleurs très actives également hors d’Europe, surtout, à l’heure actuelle, sur le continent américain. Outre Total et GDF Suez, on peut citer Air Liquide, Alstom, les Ciments Lafarge ou Schlumberger. Créé en 2002 sous présidence de l’ADEME, le « ClubCO2 », qui fédère en France tous les acteurs du secteur, industriel et chercheurs, se réunit plusieurs fois par an.

Certains pays sont-ils réticents ? On peut surtout noter que certains sont au contraire très moteurs, au premier rang desquels la Norvège et le Royaume-Uni. Celui-ci vient de présenter deux projets de démonstration, portant l’un sur une centrale au gaz en Écosse, l’autre sur une centrale à charbon dans le Yorkshire, et qui prévoient tous deux, comme en Norvège d’ailleurs, un stockage off-shore en mer du Nord. Ce sont ces projets qui sont le plus facilement acceptés. L’idée est de procéder au stockage dans des gisements d’hydrocarbures déplétés et, le cas échéant, à la récupération assistée de pétrole. Les Pays-Bas sont également très actifs : ils défendent de même deux projets, prévoyant eux aussi un stockage off-shore dans de grands gisements de gaz déplétés et situés sur le territoire national. Un projet de démonstration on-shore dans un gisement de gaz n’a en revanche pas été jugé acceptable. L’Espagne perce actuellement un forage destiné à un pilote de stockage et prépare l’installation d’un démonstrateur financé par le plan de relance économique européen. En Allemagne, pays à l’origine très actif, des problèmes d’acceptabilité se sont posés. La directive européenne n’y a été transposée que tout récemment, avec beaucoup de retard. Le stockage on-shore pose un problème aux Allemands qui envisagent donc plutôt des scénarios off-shore. La Roumanie a développé un projet de démonstration très intéressant mais qui n’a finalement pas été confirmé par le gouvernement roumain, sans doute à cause de la crise économique. Très actifs, les Polonais ont eux aussi dû toutefois renoncer à un projet de démonstration touchant une centrale à charbon, dont ils souhaitaient qu’il soit financé à la fois par le plan de relance économique européen et par le NER300, mais auquel le gouvernement n’a pas apporté son soutien financier. L’Italie a connu un sort similaire, comme tous les pays moteurs, qui ont connu en règle générale des difficultés – à l’exception peut-être de la Norvège, qui continue de progresser dans ce domaine.

M. Didier Bonijoly. En ce qui concerne Ulcos, le BRGM s’est fortement impliqué dans le projet, dont nous étions l’un des trois partenaires et dont j’étais personnellement responsable. Nous avons donc été très déstabilisés lorsque nous avons appris, le jour de notre réunion sur Ulcos avec Mme Fioraso au ministère de la Recherche, que M. Mittal avait envoyé à la Commission européenne une lettre par laquelle il se dégageait du projet.

Je suis assez d’accord avec M. Liebgott : les différents techniciens qui ont contribué au montage du projet étaient tout à fait convaincus de sa faisabilité, qu’il s’agisse du captage ou du stockage. L’incertitude portait plutôt sur l’adhésion des habitants de la Meuse au stockage sur place, même si les Lorrains dans leur ensemble semblaient favorables au développement d’un pilote en Moselle. En revanche, jusqu’en novembre 2012, aucun obstacle technique ne semblait devoir entraver le développement du projet.

M. Michel Liebgott. Les réserves dont vous parlez en Meuse ne s’apparentaient pas à une levée de boucliers et l’idée faisait son chemin parmi les habitants. Le groupe ArcelorMittal avait même envisagé d’aller au-delà de l’enquête d’utilité publique. Il était prévu de transporter le CO2 dans des camions, les premiers essais étant fixés à 2015. Les réserves n’étaient donc pas insurmontables.

M. Didier Bonijoly. En effet.

Par ailleurs, toute l’économie du projet a été bouleversée par l’effondrement de la valeur de la tonne de CO: on peut comprendre qu’il soit difficile d’envisager un investissement aussi lourd pour un gain potentiel quasi nul. Ulcos se serait pour ainsi dire réduit à un projet de recherche financé par ArcelorMittal : l’avance consentie par l’industriel ne devait lui être remboursée qu’à partir de la première tonne de CO2 stockée, c’est-à-dire pas avant 2015 ou 2016.

Vous avez raison, Monsieur Liebgott : Florange et Ulcos étaient étroitement associés et il semblait difficile de les séparer. En effet, pour couvrir la totalité de la filière, il faut disposer d’un haut-fourneau, sans quoi il n’y a plus de CO2 à transporter ni à stocker. Si d’aventure ArcelorMittal devait ressusciter le projet, il le ferait donc soit ici à partir d’une installation active, soit dans un autre pays puisqu’il s’agit d’un groupe international.

Le centre de recherche de Maizières-lès-Metz, considéré par les métallurgistes comme l’un des plus beaux fleurons de la recherche dans ce domaine, devrait rester actif. Le projet LIS, recentré sur le haut-fourneau, est d’ailleurs au cœur de sa mission, qui consiste à développer de nouvelles technologies en vue d’améliorer la production d’acier. Je n’imagine donc pas qu’il faille nourrir la moindre inquiétude à ce sujet.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. Les outils de réforme du système d’échange de quotas sont l’objet des débats qui commencent au niveau européen. On parle aussi de taxes, de standards de performance par installation, etc. Mais ce n’est pas de notre ressort.

M. Hubert Fabriol. En ce qui concerne les galeries de mines existantes, elles ont été trop travaillées et fissurées pour pouvoir servir de lieu de stockage. En revanche, elles pourraient être utilisées comme site d’expérimentation – mais à condition de ne pas avoir été noyées, comme elles l’ont été en Lorraine et dans le Nord afin d’en rétablir l’équilibre hydrostatique. Le BRGM travaille ainsi actuellement, avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, sur un site espagnol, dans les Asturies, où l’on injecte du CO2 par petites quantités dans des veines de charbon non exploitées au fond d’une mine afin de le stocker tout en récupérant le méthane de houille. Mais ce procédé est encore très expérimental : les pilotes ne donnent pas encore des résultats satisfaisants.

Quant au devenir à long terme du CO2 stocké, il fait l’objet d’études. On sait que l’arrêt de l’injection fait baisser la pression dans le réservoir, de sorte que le risque de sismicité induite devrait décroître avec le temps. En outre, la réaction du CO2 stocké avec le milieu environnant tend à le stabiliser : il devient un minéral ou se dissout dans l’eau salée.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. Enfin, le coût du transport dépend des distances et de l’installation du dispositif on ou off-shore, mais il a toujours été jugé négligeable par rapport aux autres coûts. En effet, le coût du captage, c’est-à-dire du travail de séparation entre le CO2 et les gaz, est très élevé lorsqu’il est ramené à la tonne de CO2 traitée, à la différence du coût de transport et de stockage. Les recherches en cours devraient parvenir à le réduire ainsi que la dépense d’énergie induite, comme pour toute technologie.

M. le président Jean Grellier. Merci, Madame, Messieurs.

La séance est levée à treize heures cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 15 mai 2013 à 12 h 15

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Gaby Charroux, M. Jean-Pierre Decool, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Michel Liebgott, Mme Marie-Jo Zimmermann.

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Christian Hutin, M. Denis Jacquat.